Je vous présente aujourd’hui un exercice photographique un peu particulier que j’ai aimé découvrir : fabriquer un sténopé numérique et réaliser une série photographique avec cette technique. Retour sur un parcours qui avait pourtant mal démarré et qui s’est très bien terminé.
Non, ma pratique photo n’est pas toujours un long fleuve tranquille et oui, il m’arrive de m’égarer un petit moment avant d’arriver au résultat final. Si vous pensez que j’y arrive du premier coup, c’est le moment de vous montrer l’inverse. Pour la plupart de mes travaux, je passe par une phase de brouillons qui m’aide à cheminer dans mon processus créatif. Le travail sur le sténopé n’a pas échappé à cette règle.
Pour le billet qui va suivre, vous n’êtes pas obligé de lire tous les liens proposés. Pour ma part, étant totalement novice en optique (jamais vu ça à l’école !?) je les ai consultés. Bien sûr, je n’ai pas tout pigé mais j’ai eu l’agréable sensation d’être moins ignorante au fil de mes lectures. Et j’ai pu raccrocher les wagons avec ce que j’avais appris dans le Mooc Orange sur le daguerréotype.
Le sténopé numérique
La première étape du travail a consisté à fabriquer l’outil de travail : le sténopé.
Un sténopé est la version 0 de l’appareil photo. Il est dérivé de la camera obscura : ce procédé optique datant de l’antiquité permet d’obtenir une image inversée sur l’écran d’une chambre noire percée par un trou.
Le sténopé s’appuie sur ce procédé. Il s’agit d’un simple boitier percé d’un trou minuscule qui laisse entrer la lumière. Doté d’une surface photosensible, il permet de capturer une image qui se reflète en sens inversé. Un appareil avec un capteur numérique permet le même travail. On parle de sténopé numérique.
J’ai construit mon sténopé numérique en suivant le procédé détaillé ici. J’ai retiré l’objectif de mon appareil et j’ai fixé un cache percé d’un trou minuscule pour laisser entrer la lumière en un point concentré qui reproduira une image sur le capteur.
Gare à toutes les solutions qui proposent d’utiliser de la « patafixe »… vous risquez d’endommager votre capteur en la faisant couler. Evitez l’exposition prolongée de votre capteur à l’air libre, vous risquez le dépôt de poussières.
Si je m’en sors bien avec la théorie, je suis beaucoup moins à l’aise avec la mise en application et le bricolage. Il y a plusieurs techniques de fabrication plus ou moins élaborées sur le net. J’ai choisi la plus simple et la plus sûre pour l’appareil.

Le rendu
Le rendu des photos est flou et il est inévitable.
Plus le trou est petit et plus l’épaisseur du support est fine, meilleure sera la qualité de l’image. Il y a une formule qui définit la taille du trou pour obtenir une image optimale. A moins de pouvoir maîtriser le diamètre (moins de 1mm en théorie) avec un laser, je ne vois pas comment l’appliquer dans mon cas. Si les sujets optiques vous passionnent, il y a des experts qui ont mené de vraies études sur le rendu du flou.
La recherche
Pour cet exercice, on laisse la part belle à l’aléatoire et à l’imperfection. L’idée est de trouver des situations qui tirent parti de ce flou et de ce rendu imprévisible.
Pour cela, il faut s’approprier de nouveaux codes. Il faut se détacher de l’idée d’obtenir une lecture nette de la photo. Il faut au contraire jouer avec des contours imparfaits et des couleurs imprécises. Il faut se voir un peu comme Monet peignant Impression du soleil levant.
J’avais l’idée de travailler sur des natures mortes liées aux parfums et je suis passée totalement à côté de cet aspect au début de mon travail.
Résultat ? Je me suis vite retrouvée dans l’impasse. Au tout début, je me suis efforcée de rendre lisible des photos qui ne pouvaient pas l’être. Et mes premiers clichés ont donné ça :

Il a donc fallu reconsidérer l’approche esthétique. J’ai même songé pendant quelques heures à changer de sujet mais un bref échange avec mon formateur m’a remise sur les rails.
Pour réussir cet exercice, il faut des compositions plus simples, des lignes fortes et de la densité. J’ai donc travaillé autour de la lumière en version presque monochrome ou en couleur avec quelques lignes fortes et minimales. Et surtout, je me suis affranchie des détails pour sublimer les formes et les ambiances.
Le deuxième jour : les compositions se simplifient mais il manque un travail sur la lumière qui devrait mettre en valeur mes compositions. Je n’aime pas l’association de couleurs. Le rendu manque de subtilité.
Le troisième jour : je continue mes recherches. Il y a peu d’exemples pertinents sur Pinterest. La plupart des photos prises au sténopé montrent des paysages aux allures vintage et mal cadrés. Je trouve quelques portraits intéressants :
Photo 1 : Vicky Slater – Photo 2 : Kathy Ryan. Voir aussi https://www.annickmaroussy.com/
Je continue mes explorations photographiques et commence à trouver des cadrages plus intéressants. Plus la photo est claire, plus elle semble floue.

Je me remémore un photographe qui avait été présenté par l’école : Joseph Sudek. Ce photographe Tchèque est resté pendant l’occupation cloîtré dans son atelier et a photographié le monde de sa fenêtre. J’avais été touchée par ses natures mortes minimales, son travail délicat et mélancolique autour de la lumière.
Quatrième jour, je me mets à travailler des ambiances lumineuses et finis par aboutir à une ébauche de série. L’idée n’est pas de copier Sudek mais de m’en servir comme un point de départ : simplicité des compositions, lumières et cadrages. Je ne peux pas capturer la même subtilité des lumières avec mon sténopé, mais je suis quand même contente du rendu.
Le cinquième jour : je décide de travailler sur un format en portrait et commence à chercher des variations autour des couleurs et des ombres. Je re-shoote en format portrait des photos prises les jours précédents en optimisant les lumières. J’utilise la lumière contrastée du soleil de midi, de fin de journée, une softbox, cherche les ombres et les contre-jours. Ma série se construit petit à petit.

La série finale
Ma série se construit lentement et à force de recherche de nouvelles lumières ou cadrages. Je shoote – je jette pas mal de prises – je recommence – j’en garde certaines. Au bout de 6 jours, j’arrive à obtenir 10 photos qui se tiennent à peu près et qui offrent des variations assez fortes.
Les photos sont toutes post-traitées sur Lightroom : correction du voile, augmentation de la saturation , ajout d’un virage partiel pour unifier les densités.
Image 2 : j’ai remarqué que l’image se dédoublait lorsque la lumière arrivait de biais et qu’elle était plutôt intense. J’ai donc joué avec, puisqu’il est permis de mettre les contraintes de côté pour exprimer sa créativité.
Image 4 : j’ai poussé l’exercice jusqu’à être moins figurative. L’image est moins lisible mais j’aime bien l’amas de couleurs et de formes.
Images 6 et 7 : j’ai testé le contre-jour avec une softbox. J’ai eu du mal à dompter l’intensité. Il y a une bande lumineuse un peu cramée. Je n’ai pas trouvé comment avoir un rendu plus uniforme.
Bilan
La série manque un peu d’unité et mériterait encore un peu de temps pour en faire un travail plus abouti encore. Il aurait fallu être dans la même approche colorielle. Certaines photos sont plus colorées que d’autres. J’ai néanmoins rendu mon travail car il me faut avancer.
Je suis contente d’être allée au bout de ma démarche car le début était loin d’être prometteur. Ce billet montre que l’ébauche de brouillons est une part importante du processus.
A l’heure des capteurs numériques qui restituent des images plus vraies que nature, j’ai été surprise de trouver autant d’artistes qui travaillent sur cette technique de sténopé.
Je n’ai pas jeté mon bricolage et je suis sûre que je poursuivrai mes explorations avec cette technique.
Bonjour.
Une technique pour construire son sténopé : une bague T ! On peut dissocier la partie interne et glisser un cercle de papier qu’on aura bien encré (noirci). J’ai fait ça à l’imprimante..?
Ca évite de détruire ses caches de marque et on peut faire des trous plus petits (de l’ordre du 10eme de mm), avec ainsi une meilleure netteté.
Il est plus facile de refaire des trous dans des mordeaux de papier et tester différentes tailles.
J’aimeAimé par 1 personne
Eh bien… un grand merci Emmanuelle pour ce compte-rendu très instructif et très doux.
J’adore ces couleurs, ce rendu et la manière dont vous exposez la progression de votre démarche. Je trouve les couleurs et les compositions très belles.
Olivier
J’aimeJ’aime
Merci Olivier pour votre retour . Je reste une inconditionnelle de cette technique alternative. A bientôt
J’aimeJ’aime
Pour quelque chose que tu ne maitrisais pas, c’est plutôt réussi! J’aime beaucoup voir j’adore la photo des flacons, on se croirait dans un rêve! Je vais te faire une confession… tu peux aller voir ton opticien ou bijoutier préféré! On a la possibilité d’avoir des forets jusqu’à 0.5mm de diamètre, ce qui te permettrait d’éviter les aléas du papier d’alu percé en 2 points! si tu ne trouve pas redis moi, je t’aiderais volontiers. En tout cas, encore une belle série!
J’aimeJ’aime
Merci Emilie. Le bijoutier ou l’opticien … mais c’est carrément une bonne idée !
J’aimeAimé par 1 personne
Bravo Emmanuelle pour ta persévérance et ta capacité d’auto-analyse. Ce que j’aime le plus dans ta série est le travail sur la lumière bien sur, mais surtout les couleurs et les « transitions » générées par le flou (aussi bien dans les contrastes que dans l’espace). Pourrais-tu nous en dire plus sur les réglages utilisés et la distance nécessaire entre l’appareil et le scène?! Merci! À bientôt. Géraldine
J’aimeJ’aime
Merci Géraldine 😍. Pour te répondre au sujet des réglages : j’étais entre 100 et 400 iso et avec un temps de pose entre 4sec et 1/8 sec selon la luminosité . Utilisation d’un trépied dans tous les cas. La distance par rapport au sujet n’a pas eu impact puisque qu’il n’y a pas de lentille . Après, j’étais assez loin de mon sujet pour pouvoir tout faire rentrer dans le cadre et j’ai quand même fait des cadrages serrés car les petits éléments ne ressortent pas dans le flou de la photo . Au sujet du dédoublement de l’image : en démontant mon cache hier , j’ai remarqué un 2ème micro-trou causé par une aspérité de mon bouchon, ce qui pourrait expliquer cet effet de double photo. L’effet semble plus intense quand la lumière est crue et de source latérale. Comme je n’ai pas de solides bases en optique, je me garderai d’en donner des explications 😀. En espérant t’avoir répondu .
J’aimeAimé par 1 personne
Merci beaucoup pour ces précisions techniques. J’ai toutes mes réponses👌 ! Finalement il y a toujours une dose d’inattendu dans chaque photo réussie! Allez : Prochain challenge pour toi : des portraits au sténopé 😉! J’ai hâte! Bonne journée et excellent week-end !
J’aimeAimé par 1 personne
J’admire ! Je n’ai plus la patience, ou le courage.. de travailler toutes ces techniques.. pourtant qu’est-ce que c’est intéressant et les rendus doux, poétiques… Bravo !
J’aimeAimé par 1 personne
Merci Evelyne. C’est une chouette alternative comme le dit Brigitte .
J’aimeJ’aime
Ton compte-rendu est très intéressant.
Le Sténopé est une technique alternative qu’on commence à souvent voir dans les expos de photos contemporaines …Le rendu est surprenant dans ta série, tu as maîtrisé le flou en le rendant nettement compréhensible !😉😊
J’aimeAimé par 1 personne
Merci Brigitte. Je ne connaissais et serais bien curieuse de voir comment les artistes explorent ces sténopés. J’ai vu quelques beaux clichés qui subliment ce flou.
J’aimeJ’aime
Bonsoir Emmanuelle
Bravo pour ton travail, je t’admire.
Et comme dit Brigitte :
Le rendu est surprenant, tu as maîtrisé le flou en le rendant nettement.
J’adore ta série 🙂
J’aimeJ’aime
Merci Nadine. Ravie de ton intérêt et ton suivi tout au long de cette série . Tu as tout suivi en direct 😘
J’aimeJ’aime
Bonjour,
Le flou n’est pas du tout maitriser … C’est d’une part dû au principe du sténopé, et d’autre par lié à une mauvaise préparation du bouchon.
Courage et persévérance ! C’est en photographiant que l’on devient photographe
J’aimeJ’aime